Médiation scientifique gamifiée | exploite le storytelling

Médiation scientifique gamifiée | EXPLOITE LE STORYTELLING

Interview de Romain Dewaele, médiateur culturel
aux Conservatoire et jardin botaniques de Genève.

Aujourd’hui, on va parler de l’importance du jeu dans les apprentissages et la vulgarisation scientifique.

Les sciences de l’éducation nous le disent depuis longtemps, le jeu est essentiel au développement, notamment des jeunes enfants. On sait aussi qu’il facilite les apprentissages en particulier parce qu’il va susciter l’imaginaire.

Le jeu a longtemps été destiné aux enfants pourtant, aujourd’hui, de plus en plus d’adultes se « prennent au jeu »  et on observe l’émergence des «serious game». Les jeux ont intégré les entreprises, les écoles de management et les institutions culturelles.

Avec Romain, on va découvrir comment  il est possible d’intégrer le storytelling à la médiation scientifique.

Et puis je lui demanderai quel est l’intérêt d’intégrer une dimension ludique à des séquences de médiation.

SophiePeux-tu te présenter brièvement, nous dire qui tu es, où tu travailles ?

RomainJe m’appelle Romain Dewaele.

J’ai fait des études de biologie, de mathématique et en technologies éducatives à l’université de Genève. Je travaille actuellement aux Conservatoire et Jardin botaniques de Genève où je suis médiateur culturel.

Sophie : Si je t’invite aujourd’hui, c’est parce que la dernière fois qu’on s’est croisé tu m’as parlé d’une séquence de médiation qui intégrait largement le storytelling et la médiation en action.

Peut-être tu peux nous dire à qui cette séquence était destinée et comment elle était construite ?

Romain : Je pense que l’activité dont je t’ai parlé, c’est l’activité qui tient dans cette petite mallette qui est derrière moi.

C’est une activité qu’on a développé à la base pour la nuit de la science, qui est un événement sur Genève qui a lieu les week-ends en général en juillet.

A la base, c’est une activité qu’on a développé pour le grand public pour parler d’évolution, de l’ADN et de choses pour lesquelles on a des chercheurs spécialistes au jardin botanique.

Elle a plutôt bien marché lors de la nuit de la science donc on a décidé de continuer de la proposer et, petit à petit. elle a elle-même évolué. Je l’ai amélioré avec différents aspects et, entre autres, en ajoutant ce dont on discutait, une couche de storytelling. Je raconte une histoire en même temps que je mène cette activité.

C’est une activité avec des cubes en bois, enfin différentes formes en bois.

Sophie : Pour quel public as-tu construit cette activité?

Romain : Elle est vraiment destiné à tout type de public.

Je l’ai déjà fait avec des enfants de 5 ans comme avec des adultes qui connaissaient la biologie ou avec des étudiants en biologie. En fait, elle s’adapte bien à tous les niveaux.

Sophie : Que fais-tu avec ces pièces en bois que tu nous as présentées ?

Romain : L’histoire c’est qu’on a une machine à voyager dans le temps.

Alors je demande aux participants d’imaginer qu’ils sont des voyageurs temporels.

Et je leur raconte qu’on va voyager dans le temps à différentes époques pour rencontrer différents scientifiques et voir comment ils voyaient le monde.

Cela permet d’aborder des notions d’évolution, de classification avec les différents scientifiques qu’on rencontre mais aussi un peu d’histoire et de nature des sciences pour comprendre comment les modèles scientifiques se mettent en place, évoluent, sont remis en question et comment la science, petit à petit, progresse pour avoir des modèles de plus en plus complets pour expliquer le monde qui nous entoure.

On part donc de ces mystérieuses boîtesJe leur raconte que je ne sais pas du tout ce que c’est mais qu’on va demander aux scientifiques qu’on rencontre s’ils ont une idée.

A chaque étape dans le temps, on débat avec les scientifiques pour savoir si le modèle est le meilleur qu’on puisse trouver.

A chaque époque, il y a des scientifiques qui ne sont pas d’accord les uns avec les autres. C’est ça l’intérêt justement, de montrer qu’on peut, en sciences, ne pas être forcément d’accord les uns avec les autres et voir comment la science va procéder pour choisir la meilleure hypothèse.

Sophie : Oui, c’est intéressant parce que c’est toujours le cas aujourd’hui. C’est-à-dire qu’il n’y a pas une théorie qui est figée, c’est la recherche qui la fait avancer et une théorie à valeur tant qu’elle n’a pas été démontée par l’expérience.

Romain : Exact.

Au départ, cette couche de storytelling n’était pas présente. C’est en participant à un congrès sur l’évolution et l’enseignement de l’évolution, qui s’appelle EVOKE, qui avait lieu cette année à Split en Croatie, que j’ai suivi un workshop de storytelling destiné à nous exercer à raconter des histoires.

Ça m’a inspiré et je me suis dit, j’allais rajouter cette dimension à l’activité.

A la place de simplement faire classer des boîtes aux participants et leur faire réaliser des arbres phylogénétiques, qui représentent les relations de parenté entre espèces, et bien j’allais carrément les emmener dans un voyage dans le temps pour rencontrer les scientifiques qui sont à la base de ces théories.

Donc le premier scientifique qu’on rencontre, c’est Linné, avec qui on va juste faire de la classification.

On aborde la notion d’espèce, de genre, de famille, ce système de classification imbriquée, un peu à la manière de poupées russes.

Il y a plusieurs classifications possibles, le plus important c’est que les participants justifient leur choix à chaque fois. Donc il s’agit de faire des paquets et de regrouper ces boîtes en le justifiant : « Je les mets ensemble parce qu’ils ont la même forme ou parce qu’ils ont la même couleur. »

J’ai réglé ma machine à voyager dans le temps, on est en 1753. On va taper à la porte de l’immense maison de Linné. J’ai un peu mal visé, il fait froid on est en hivers, alors on va se réchauffer chez lui.

Et voilà, il nous explique sa classification. Il nous demande d’appliquer son système aux boîtes.

Et puis là, il y a un autre scientifique qui n’est pas d’accord avec la classification des participants.

Alors on débat un peu : Qui a raison ? Qui a tort ? Est-ce qu’on peut décider ? Est-ce que ce débat a un sens ?

Pour répondre à ces questions, on voyage dans le temps une nouvelle fois pour aller rencontrer Charles Darwin, sur son bateau, qui nous explique un peu son idée et puis les relations de parenté entre espèces.

A ce moment-là, on construit un arbre phylogénétique. Les participants doivent placer leurs boites sur un de ces fameux arbres phylogénétiques et essayer d’expliquer l’évolution des boites, essayer d’imaginer à quoi pouvaient ressembler les ancêtres communs, ce qu’il s’est passé à quel moment dans l’évolution des boites.

Pareil, y a plusieurs solutions possibles.

Il y a débats entre différents scientifiques, ils ne sont pas tous d’accord les uns avec les autres, même s’ils arrivent à des solutions qui sont tout autant « parcimonieuses » les unes que les autres, c’est-à-dire avec un minimum de changements possibles pour expliquer l’évolution des boites.

Et donc pour résoudre ce dilemme, on fait un dernier saut temporel pour arriver au jardin botanique, au présent, en 2022, dans le laboratoire de génétique moléculaire.

Et, en ouvrant ces boites, on se rend compte qu’à l’intérieur il y a une petite bandelette sur laquelle il y a de l’ADN.

On va pouvoir comparer les différentes boites et s’apercevoir que de la même manière qu’il y a des boites qui se ressemblent physiquementde par leur forme ou leur couleur, et bien elles vont plus ou moins se rassembler au niveau de leur ADN.

L’ADN nous apporte les éléments qui nous manquaient pour pouvoir nous décider entre différentes hypothèses, il nous apporte des indications supplémentaires pour résoudre l’histoire évolutive de ces fameuses boites.

La science est passée par ces mêmes étapes.

Après, on peut revenir avec des exemples sur les végétaux, sur les animaux qui illustrent tout ça.

Sophie : C’est très chouette parce que tu impliques vraiment le participant dans tout ce processus qu’a fait la science. Je trouve que c’est vraiment bien pensé.

Et combien de temps dure cette séquence ?

Romain : Alors elle dure 45 minutes en moyenne.

On peut la faire durer plus ou moins longtemps en fonction des participants. Si on va jusqu’au bout, jusqu’à l’ADN, à peu près 45 minutes.

Sophie : Quels sont les objectifs que tu as posés au moment où tu as construit cette séquence ?

Romain : Il y en a trois.

  1. Aborder les notions d’évolution, de classification, les notions scientifiques pures.
  2. Aborder les notions d’histoire et de nature des sciences. Faire comprendre comment la science évolue, comment les modèles évoluent. Que la science n’est pas quelque chose de figée.
  3. Aborder la notion de « théorie » qui n’est parfois pas compris par le grand public de la même manière que dans la communauté scientifique.

     

Sophie : Effectivement, c’est tout un travail de transmission à faire et mettre le public en action.

Quels résultats est-ce que tu as obtenus ?

Est-ce que tu as l’impression que cela a facilité les apprentissages ?

Romain : On ne l’a jamais vraiment mesuré de manière très scientifique je dirais, on n’a jamais fait de tests avant / après.

Mais de mon feeling personnel en tout cas, j’ai toujours l’impression que ça apporte quelque chose.

Au niveau de l’immersion, les gens sont tout de suite plus embarqués dans l’histoire et ils passent en général un meilleur moment. Ils s’amusent.

Après « est-ce que cela les aide à comprendre ? », ça je ne sais pas. Il faudrait le mesurer concrètement.

On avait construit une fausse machine à voyager dans le temps qui permet déclencher le voyage dans le temps pour emmener les participants dans chaque saut temporel.

Avec les enfants ça marche super bien.

Quand j’ai des plus âgés, des collégiens qui sont en train de passer la maturité par exemple, je ne la sors pas. Je leur dis qu’on va faire une petite expérience de pensée.

Sophie : Je suis épatée de voir que tu arrives à amener ces concepts chez les plus jeunes.

Réussir à faire rentrer dans le jeu des participants qui ont un jeune âge c’est un défi et je pense que l’histoire que tu racontes aide.

Romain : Avec les plus jeunes (5 ans environ) on n’est pas allé jusqu’à l’ADN. C’était plus les inviter à ranger les boites, à classer les boites.

C’était un format d’activité en plein air, ouvert à tous, aux familles. On faisait cette acticité avec les petits mais il y avait les parents qui étaient là aussi. Donc on a toujours un discours qui s’adapte au public.

Les enfants ils rangent les boites et, pendant ce temps, je peux avoir des discussions plus poussées avec les parents.

Mais la plupart du temps, quand je mène cette activité, c’est plutôt avec des élèves du secondaire, pour qui l’évolution est au programme .

Sophie : Comment fais-tu  cette séquence ? Est-ce que tu te déplaces dans les classes ou est-ce que le public vient vers toi ?

Romain : La plupart du temps, on mène cette activité au jardin botanique pendant 1h30.

En réalité, on fait cette activité couplée à une autre pendant 45 minutes. La moitié de la classe est par exemple avec moi pour cette activité et l’autre moitié sur une autre activité, sur un mur tactile qui est une simulation de l’évolution.

On échange les deux groupes après 45 minutes, comme ça tout le monde a tout vu.

L’activité tient dans une petite mallette qu’on prête volontiers aux enseignants. On a une dizaine de mallettes à disposition.

Et je me suis également déplacé quelques fois en classe.

Sophie : As-tu reconduit l’expérience du jeu et du storytelling dans d’autres séquences de médiation ?

Romain : On a fait plusieurs fois des activités où les participants incarnent des personnages qui doivent mener une enquête,  un peu comme des scientifiques.

Se mettre vraiment dans la peau de scientifiques et avoir la démarche d’aller récolter des choses sur le terrain, les observer sous la loupe, sous le microscope.

J’aime bien quand je peux rajouter cet aspect jeu de rôle dans certaines activités.

Sophie : Je pense qu’en terme de motivation c’est assez puissant.

Romain : Oui. Exactement.

Je pense que c’est le cas en termes de motivation. Comme je le disais, au niveau des apprentissages, je ne sais pas, je ne l’ai jamais mesuré avec des tests et des questionnaires pour mesurer leurs connaissances avant ou après.

Mais en tout cas je sais qu’au niveau de la motivation et du plaisir qu’ils ont à suivre l’activité en général ça aide.

Sophie : Et d’éveiller leur curiosité j’imagine sur comment travaille la science.

Susciter peut-être des vocations, sait-on jamais !?

Romain : Peut-être.

Sophie : Est-ce que tu conseillerais cette expérience à d’autres collaborateurs, médiateurs scientifiques ?

Romain : Oui. Pas forcément exactement sous cette forme, parce que cela implique quand même que la personne qui mène le jeu soit à l’aise avec le fait de prendre un rôle et qu’elle soit prête, comment dire… à être peut-être un peu ridicule parfois, selon comment le feeling passe.

Pour les enseignants, il y a un guide assez détaillé qui les aide à mener cette activité.

J’ai mis la partie storytelling en optionnelle parce que cela dépend si l’enseignant ou le médiateur est à l’aise avec le fait de rentrer dans un rôle et de jouer la comédie devant une classe ou un groupe.

J’ai laissé ça assez ouvert et je pense que ça dépend de la manière dont le groupe est réceptif et à quel point le médiateur est prêt à rentrer dans le jeu et à jouer la comédie.

Sophie : Ce que j’entends, c’est qu’il y a beaucoup d’adaptabilité finalement. Tu t’adaptes au public mais tu t’adaptes aussi au médiateur qui va porter l’activité.

Est-il encore possible de participer à cet atelier ?

Romain : Oui c’est possible. On l’offre actuellement pour les classes du secondaire.

Sur le site internet du jardin botanique, on peut s’inscrire avec sa classe si on est enseignant.

Et il y a toujours ces dix mallettes qui sont à disposition. Donc n’importe qui peut en emprunter.

Sophie : Un grand merci Romain pour ce retour d’expérience. Franchement, c’est très précieux d’avoir des témoignages de terrain !

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Sources :

  • Clerc-Georgy Anne, Jeu, imagination et apprentissage dans une perspective historico-culturelle. Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant, 2020 – ANAE, 165, 1-9. : http://hdl.handle.net/20.500.12162/4576 
  • Lépinard Philippe, La décontextualisation par le jeu des situations d’apprentissage simulées comme stratégie pédagogique inclusive. XXIXe Conférence Internationale de Management Stratégique, Association Internationale de Management Stratégique, Jun 2020, En ligne, France. ffhal-02619525f : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02619525/document
  • Sauvé Louise, Renaud Lise et Gauvin Mathieu, Une analyse des écrits sur les impacts du jeu sur l’apprentissage, Revue des sciences de l’éducation, Volume 33, numéro 1, 2007, p. 89–107 : https://www.erudit.org/fr/revues/rse/2007-v33-n1-rse1732/016190ar/

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